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arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation rebat les cartes des congés payés

Le 27 septembre 2023
Par trois arrêts rendus le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a rebattu les cartes des congés payés. Elle juge que les salariés acquièrent des droits à congés payés pendant la période de suspension de leur contrat de travail.

Par trois arrêts très novateurs rendus le 13 septembre dernier, la Cour de cassation écarte partiellement l’application de l’article L3141-3 du Code du travail en matière d’acquisition de droits à congés payés, au nom de la conformité au droit de l’Union Européenne.
Rappelons que cet article subordonne l’acquisition de droits à congés payés à l’exécution d’un travail effectif, ce qui en exclue les périodes de suspension du contrat de travail que sont les arrêts maladie

La Cour de cassation était saisie par plusieurs pourvois à ce sujet.
 
Dans la première affaire (n° 22-17340), des salariés avaient saisi la juridiction prud’homale d’une demande de congés payés qu’ils estimaient avoir acquis pendant la suspension de leur contrat de travail en raison d’un arrêt de travail lié à une maladie non-professionnelle.


La Cour d’appel de Reims (6 avril 2022, n° 21/00776) avait considéré que les dispositions du Code du travail entraient en conflit avec la règlementation de l’Union européenne et, en particulier, la Charte des droits fondamentaux, opposable dans les litiges entre particuliers et dont l’article 31 paragraphe 2 accorde à tout travailleur le droit à une période annuelle de congés payés.


Le droit français subordonne en effet l’acquisition de ce droit à l’exécution d’un travail effectif (article L 3141-3 du Code du travail), ce que ni la charte des droits fondamentaux ni la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, et plus particulièrement son article 7 qui garantit au salarié une période de à congés payés annuelle d’au moins quatre semaines, ne retenaient comme restriction. 


La Cour de cassation, qui avait jugé en 2013 que l’article 7 de la directive ne permettait pas, dans un litige entre particuliers, d’écarter une disposition nationale contraire (Cass. Soc. 13 mars 2013, n°11-22285), se fonde ici sur le seul article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et juge que les articles L 3141-3 et L 3141-9 du Code du travail, contraires à ce texte, doivent demeurer inappliqués.

Elle considère ainsi que les salariés acquièrent des droits à congés payés pendant la période de suspension de leur contrat de travail en raison d’une maladie ou d’un accident, quelle qu’en soit la nature, professionnelle ou non.
 

Dans le second arrêt (n°22-17.638), un salarié avait été victime d’un accident du travail et été placé en arrêt pendant 18 mois. Il avait demandé à bénéficier de ses droits à congés payés, en intégrant toute la période pendant laquelle il était en arrêt de travail.

Eu égard à la durée de l’arrêt de travail, la Cour d’appel de Paris (9 février 2022, n°21/00776) avait jugé qu’il ne pouvait prétendre à une indemnité de congés payés au-delà d’un an, conformément à l’article L3141-5, 5° du Code du travail. 

La Cour de cassation applique à nouveau l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux pour écarter la loi française et censure la cour d’appel, considérant que dans le cadre d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congé payé ne peut être limitée à un an, comme le prévoit l’article L3141/5, 5°.
 

Le troisième arrêt (n°22-10.529) tranche un point différent, quoique toujours sur le fondement de l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux, relatif à la prescription des salaires. Une salariée ayant collaboré avec un institut pendant plus de dix années s’estimait liée par un contrat de travail et avait saisi la juridiction prud’homale de demandes indemnitaires et salariales, dont l’indemnisation des congés payés qu’elle n’avait pas été en mesure de prendre durant ces dix années.


La Cour d’appel d’Aix en Provence (26 novembre 2021 n°21-03.277) avait fait droit à ses demandes dans la limite des trois années précédant la reconnaissance de son contrat de travail sur le fondement de la prescription triennale des salaires.

La Cour de cassation, à la suite d’un arrêt de la CJUE de 2022 (CJUE 22 septembre 2022, LB c/ TO, C- 120/21, points 45 et 48) se fondant sur les mêmes article 7 de la directive et 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux, juge désormais – et c’est la grande innovation de cet arrêt – que le délai de prescription de l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut commencer à courir que lorsque l’employeur a effectivement mis le salarié en mesure d’exercer son droit à congé. 
 
Ces trois arrêts ouvrent un nouveau champ de contentieux qui permettra non seulement aux salariés dont le contrat est suspendu pour cause de maladie d’invoquer l’acquisition de droits à congés payés au titre de cette période de suspension mais également de reporter le point de départ de la prescription lorsque le salarié n’aura pas été mis en mesure d’exercer son droit à congé.

A noter que l’article 7 de la directive évoque un droit à congés payés d’au moins quatre semaines, ce que le Conseil d’Etat (avis n°406009 du 26 avril 2017) a considéré, pour les fonctionnaires, comme une limitation. D’autres arrêts viendront sûrement compléter la jurisprudence sur ce point.

Il est enfin intéressant de relever qu’alors que les trois espèces soumises à la Cour de cassation concernaient le paiement d’indemnités compensatrices de congés payés après rupture du contrat de travail, la question va se poser plus largement pour tous les salariés encore en poste qui, après un arrêt maladie plus ou moins long, pourront demander à reporter sur l’année suivante les congés payés acquis au titre de cette période, ce que la jurisprudence de la CJUE admet, sur le même fondement juridique, tout en limitant cette possibilité à quinze mois, eu égard à la finalité des congés payés, qui est de pouvoir prendre du repos pour préserver sa santé.